LE BAIL (COMMERCIAL) EN PÉRIODE DE COVID-19 : QUI AU FINAL DEVRA PAYER LA FACTURE ?
Au début de ce mois, les médias ont largement fait l’écho d’un jugement du juge de paix d’Etterbeek, dans lequel il a été décidé que le locataire d’un commerce non-essentiel était exempté du paiement du loyer pour la période de fermeture forcée pour cause de » force majeure Corona « .
Ce jugement est le plus médiatisé des jugements, de plus en plus nombreux, relatifs aux conséquences des mesures COVID-19 sur les relations locatives.
Malheureusement, on ne peut pas en dégager une décision uniforme, mais l’on peut en retenir trois tendances :
- Le loyer est payable en totalité (Juges de Paix d’Houthalen-Helchteren, de Louvain et d’Ixelles).
- Le loyer est réduit pendant les mesures COVID-19 (Juge de Paix de Brugge)
- Le loyer n’est pas dû en cas de force majeure (Juge de Paix d’Anvers et d’Etterbeek).
EST-CE QUE LE CORONA EST UN CAS DE FORCE MAJEURE POUR LE LOCATAIRE ?
Il y a peu de discussion quant à savoir si la pandémie COVID-19 et la fermeture obligatoire (collective) des magasins non-essentiels peuvent constituer un cas de force majeure. Cependant, la question qui demeure ouverte est de savoir si cette force majeure entraîne le non-respect par le bailleur de son obligation de fournir une jouissance paisible des lieux et si cela signifie que le locataire est exempté de ses obligations contractuelles.
En fin de compte, il importe de déterminer qui devra supporter le risque de ce cas de force majeure : le locataire ou le bailleur ?
L’obligation de délivrance d’un bien est principalement exécutée en début du bail. Une fois le bien mis à disposition de son locataire, le bailleur a ainsi rempli son obligation de délivrance. Les conditions imposées par les autorités afin de pouvoir organiser l’exploitation prévue du bien en question, seront à la charge du locataire, sauf dérogation contractuelle.
Cependant, l’article 1719 du code civil oblige le bailleur à assurer une jouissance paisible du bien loué par le locataire et ce, pendant toute la durée du contrat. Il s’agit d’une obligation imposée au bailleur à ne rien faire qui empêcherait celle-ci. Garantir la jouissance paisible n’est donc qu’un engagement pour le bailleur de s’abstenir d’actes, de fait et de droit, susceptibles de troubler la jouissance du bien loué (article 1725 du code civil). De cette manière, le bailleur ne peut pas simplement continuer à utiliser lui-même le bien loué ou octroyer une servitude sur le bien loué pendant la durée du bail. Si un tiers (par exemple, l’État) provoque un trouble de jouissance sans implication ou négligence du bailleur, le locataire doit en principe en supporter seul les conséquences.
La décision du gouvernement de fermer les magasins non-essentiels est-elle dès lors un trouble de jouissance dont le bailleur lui-même devrait répondre ?
Les mesures gouvernementales n’interdisent en outre pas l’utilisation des lieux loués, mais seulement une utilisation spécifique de ces derniers. La force majeure ne repose en réalité ni sur les lieux loués, ni sur le bailleur, mais bien sur l’exploitation du locataire. Le locataire supporte le risque économique de cette opération.
Seul le contact avec le public est exclu par les mesures COVID-19 et le locataire peut continuer à utiliser les lieux loués, pour le stockage, l’e-commerce, les travaux de rénovation et, durant secondes mesures COVID-19, également pour les ventes « click & collect » et l’organisation de ces enlèvements….
Cependant, dans les baux commerciaux, le contact avec le public est une condition essentielle, absente dans les autres formes de location. Les locataires qui n’exploitent pas un commerce de détail et qui ne sont donc pas des locataires d’une surface commerciale, ne sont qu’indirectement touchés par la fermeture collective et l’arrêt temporaire et partiel de l’économie à la suite des mesures gouvernementales.
DES SOLUTIONS INTERMÉDIAIRES ?
Si l’on admet que le bailleur manque à son devoir de mettre le bien à disposition, il est logique de conclure que cela est dû à un cas de force majeure. Dans le cas d’un commun accord, la conséquence de cette force majeure de la part du bailleur est que l’indemnité pour la prestation ainsi non livrée, n’a pas à être payée non plus.
Cependant, comme indiqué ci-dessus, il n’est pas du tout acquis que le bailleur manquerait ainsi à son obligation de fournir une jouissance paisible des lieux.
Une solution intermédiaire pourrait être d’invoquer l’article 1722 du code civil, qui dispose ce qui suit :
« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »
La fermeture forcée pourrait alors être considérée comme une indisponibilité temporaire/partielle, donnant lieu à une réduction du loyer.
Il serait également possible de déterminer concrètement quels sont les services (par exemple, les obligations de marketing dans les centres commerciaux, l’animation du bien loué, etc.) que le bailleur n’offre plus compte tenu de la « force majeure Corona », de sorte qu’une réduction du loyer/charge est accordée uniquement à cette fin.
ABSENCE D’ACCORD EN JURISPRUDENCE
En l’absence de dispositions contractuelles, le juge de paix doit donc finalement faire supporter cette force majeure à l’une des deux parties.
Quelques décisions récentes montrent que les opinions sont partagées:
Réduction de loyer
- Le Juge de paix de Bruges a décidé que la fermeture due à une épidémie n’était pas un cas de force majeure et faisait partie des risques normaux d’un commerce. Cependant, la pandémie a pris de telles formes, que celle-ci pourrait désormais être qualifiée de force majeure. En tout état de cause, compte tenu de la pandémie, la destination des lieux loués et le loyer élevé n’ont pas pu être maintenus. Le loyer élevé ne pouvait être justifié qu’en raison de la présence de nombreux touristes, ce qui n’était bien sûr pas le cas pendant la pandémie. Par conséquent, le juge de paix a temporairement réduit le loyer à 25% pour la période de fermeture, en raison de la destruction (partielle) des lieux loués (voir également notre précédent article (Le coronavirus et son impact sur les contrats b2b en cours) et sur la base de la « loyauté » contractuelle.
Exonération de loyer
- Le Juge de paix d’Anvers a décidé (par défaut) que le bailleur d’un restaurant ne devait pas payer de loyer parce qu’il ne pouvait pas garantir la jouissance paisible pendant la fermeture obligatoire.
- Le Juge de paix d’Etterbeek a décidé qu’en raison de la force majeure, aucune jouissance du bien loué ne peut être garantie et que le stockage temporaire du stock dans le bien loué ne suffit pas à compenser la perte de cette jouissance. En conséquence, l’exécution du paiement du loyer qui s’y rapporte, devient également caduque pour cause de force majeure.
Pas d’exonération de loyer (mais suspension possible)
- Toujours dans le cadre de l’exploitation d’un restaurant, le Juge de paix d’Ixelles a souligné que l’affirmation selon laquelle un bailleur est responsable parce que la jouissance paisible n’est pas assurée sur la base de la force majeure, est une contradiction factuelle. Le locataire se retrouve bien dans une situation de force majeure, mais cela ne doit pas être une raison pour échapper définitivement à l’obligation de payer les loyers. Une suspension du loyer est possible mais elle devra être ultérieurement compensée, le cas échéant au moyen d’un plan de remboursement.
- Le juge de paix de Louvain souligne qu’il n’est pas interdit au bailleur de louer. Le locataire a l’interdiction d’exploiter le bien, ce qui ne concerne que l’exploitation physique de ce dernier, de sorte que le locataire peut organiser ou a organisé ses activités en ligne à partir du bien loué et pourrait également continuer à utiliser le bien pour le stockage du stock et son propre aménagement de magasin. Le jugement souligne également la différence entre le locataire (un « grand détaillant ») et les petits détaillants, sans toutefois préciser si, dans ce dernier cas, une exonération de loyer pourrait être accordée pour la période de fermeture obligatoire.
- Le juge de paix de Houthalen-Helchteren a statué dans le même sens et a souligné que, contrairement au bailleur, le locataire pouvait bénéficier de certaines mesures de soutien du gouvernement pendant la période de fermeture.
EN CONCLUSION, UN ACCORD CLAIR EST PRÉFÉRABLE
Il est en tout cas conseillé de trouver un accord à l’amiable avec le locataire pour partager le fardeau de cette pandémie. À l’heure actuelle, il n’y a absolument aucune position claire en faveur du bailleur ou du locataire.
Enfin, il faudra également être attentif à la stabilisation ou non des loyers sur le marché. Une vague (encore suspendue actuellement) de faillites suite à la crise COVID-19 pourrait éventuellement provoquer une multiplication des offres sur le marché locatif, ce qui pourrait faire baisser les loyers. La loi sur les baux commerciaux prévoit un mécanisme d’ajustement des loyers aux évolutions du marché locatif tous les trois ans, à condition que la valeur locative ait augmenté ou diminué d’au moins 15 % en raison de nouvelles circonstances (objectives).
Vous avez des questions à ce sujet ? N’hésitez pas à contacter l’équipe de droit commercial de Racine.