L’arrivée d’une nouvelle législation relative aux marchés publics
Le 28 mars 2014 étaient publiées au Journal officiel de l’Union européenne les nouvelles directives européennes concernant les marchés publics:
- La directive 2014/24/EU du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la passation de marchés publics et abrogeant la Directive 2004/18/EG.
- La directive 2014/25/EU du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la Directive 2004/17/EG.
Ces directives sont entrées en vigueur le 18 avril 2014. Le délai de mise en œuvre a été fixé à 24 mois, ce qui signifie que les autorités fédérales doivent transposer ces directives dans la réglementation belge pour le 18 avril 2016.
Le 4 janvier 2016, le gouvernement a introduit un projet de loi modifiant la loi existante du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services. Le législateur a donc choisi d’écrire une toute nouvelle loi, plutôt que d’adapter la loi existante datant du 15 juin 2006.
Suivant les directives à modifier, l’actuel projet de loi poursuit les objectifs suivants :
– Une efficacité accrue des marchés publics en proposant un assouplissement des procédures
– Un accès plus large aux Petites et Moyennes Entreprises (PME)
– Permettre aux adjudicateurs de mieux utiliser les marchés publics comme instruments de soutien des objectifs sociaux communs comme la protection de l’environnement, l’innovation et l’intégration sociale.
Un certain nombre de notions et de concepts de base ont également été clarifiés en vue d’une plus grande sécurité juridique et on a tenu compte d’un certain nombre d’aspects de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne en la matière.
Dans ce projet de loi, les importantes nouveautés suivantes ont été reprises dans ce but:
– les conditions d’utilisation de la “procédure de concurrence avec négociation” (actuellement dénommée procédure négociée avec publication) et le “dialogue compétitif” sont assouplies.
– une nouvelle “procédure de passation” est prévue, à savoir le “partenariat d’innovation”. Cette procédure spécifique, le partenariat d’innovation, met fin à l’obligation de conclure des marchés séparés pour l’examen et le développement d’une part, et pour l’achat de travaux, de fournitures et de services qui résultent de l’examen et du développement d’autre part.
– il s’ensuit une obligation de communication entre les “adjudicateurs” et les “entrepreneurs”, qui doit en principe avoir lieu à l’aide des moyens de communication électroniques.
– afin de faciliter l’accès des PME à la procédure d’attribution du marché, la directive encourage notamment le pouvoir adjudicateur à la répartition d’un (plus grand) marché en parcelles.
– les “services juridiques”, plus précisément la représentation par des avocats dans le cadre d’une procédure devant les juridictions ou les autorités publiques ou les conseils juridiques fournis en vue de la préparation d’une procédure contentieuse sont en principe exclus du domaine d’application de la législation marchés publics.
– les exceptions établies par la jurisprudence en matière de marchés quasi in-house et la collaboration entre établissements publics sont décrites dans cette règlementation
– on crée plus d’espace pour tenir compte des critères sociaux et environnementaux lors du choix de l’offre la plus avantageuse.
Isabelle COOREMAN et Liesbeth PEETERS
Indemnités en cas de violation de la législation sur les marchés publics
Les directives européennes en matière de marchés publics obligent les Etats-membres à prévoir des possibilités procédurales pour accorder des indemnités à ceux qui ont subi des dommages suite à une infraction à la législation marchés publics.
En droit belge, une indemnité peut être exigée, selon certaines conditions, par le soumissionnaire ayant rendu l’offre la plus basse ou la plus avantageuse et dont l’offre n’a pas été choisie à tort. Cette compétence est prévue de manière spécifique dans la Loi Marchés publics et dans la Loi Protection juridique et est ici exclusivement attribuée aux cours et tribunaux ordinaires.
En outre, le Conseil d’Etat dispose depuis le 1er juillet 2014 d’une compétence générale afin d’octroyer une soi-disant “indemnité de réparation” à chaque demandeur ou intervenant qui subit un préjudice à cause d’un acte ou d’un règlement déclaré illégal, peu importe la matière.
Le rapport entre la compétence spécifique des cours et tribunaux ordinaires et la compétence générale du Conseil d’Etat est encore incertain. D’une part, la compétence particulière peut primer sur la compétence générale. D’autre part, la compétence du Conseil d’Etat est plus récente que celle des cours et tribunaux ordinaires. De plus, la compétence générale des cours et tribunaux dans la préparation de la législation vient d’être citée comme exemple d’une matière dans laquelle le Conseil d’Etat pourrait accorder des indemnités. Le Conseil d’Etat lui-même ne s’est pour l’instant pas encore prononcé en faveur de l’octroi d’indemnités dans un dossier de marchés publics.
Dans un récent arrêt (CE, 2 octobre 2015), le Conseil d’Etat a pour la première fois accordé une indemnisation en vue d’obtenir réparation (cela concernait des indemnités pour avoir perçu un salaire inférieur à cause du refus illégal d’une carte d’identité).
Abstraction faite de cette question de compétence, ces deux mécanismes d’indemnisations montrent quelques différences importantes.
Ainsi, les demandes d’indemnisations devant les tribunaux ordinaires doivent se faire dans un délai de 5 ans. Les demandes d’indemnisations en vue de réparation doivent par contre être introduites dans les 60 jours après notification de l’arrêt dans lequel le Conseil d’Etat constate l’illégalité de l’acte à l’origine du dommage. Lors de l’évaluation du préjudice, le Conseil d’Etat peut par ailleurs modérer l’évaluation du dommage en fonction des circonstances d’intérêt public et particulier, contrairement aux cours et tribunaux ordinaires. Enfin, il n’y a pas de recours en appel ou en cassation possible contre les arrêts concernant des dédommagements prononcés par le Conseil d’Etat, ce qui est par contre le cas auprès des cours et tribunaux ordinaires.
Il ressort de cette comparaison que la compétence du Conseil d’Etat en matière d’indemnisations semble avoir pour avantage un gain de temps. Par contre, il y a incertitude quant à la compétence du Conseil d’Etat et à l’ampleur de l’indemnisation qu’il peut accorder. Le soumissionnaire présentant l’offre la plus basse ou la plus régulière avantageuse qui n’a pas été choisie à tort, cherchera dans la pratique toujours à obtenir un recours auprès des cours et tribunaux ordinaires.
Isabelle COOREMAN et Matthias VALKENIERS
Examen et justification des prix : la règlementation comprend tant un renforcement qu’un assouplissement
L’examen du prix par le pouvoir adjudicateur constitue une partie importante de l’examen de la régularité matérielle de l’offre. Le but de cet examen des prix – et de l’exclusion éventuelle de soumissionnaires qui proposent des prix anticoncurrentiels ou même des prix fictifs selon cet examen des prix – est double. Tout d’abord, il garantit la concurrence et l’égalité entre les soumissionnaires. Ensuite, le pouvoir adjudicateur essaie par l’examen des prix d’éviter des difficultés et des surprises pendant l’exécution du marché public.
Suite à l’entrée en vigueur de la législation sur les marchés publics du 1er juillet 2013, le cadre légal entourant l’examen des prix a également été renouvelé. Ce nouveau cadre légal comprend, d’une part, un assouplissement mais d’autre part, également un renforcement.
Un assouplissement dans le sens que l’article 21 § 1 AR Passation 2011 permet au pouvoir adjudicateur, peu importe la procédure d’attribution du marché, de demander aux soumissionnaires de fournir tous les renseignements nécessaires pour procéder à l’examen des prix, sans lancer la procédure des prix anormaux. Dans la réglementation précédente, cela n’était possible que dans le cadre d’une procédure négociée sans publication.
Un renforcement dans le sens que le pouvoir adjudicateur qui procède à l’examen des prix sur base de l’article 21 AR Passation 2011, combiné à l’article 95 AR Passation 2011, d’une part, une fois qu’il constate qu’une offre contient un prix anormalement bas ou anormalement haut par rapport aux prestations à fournir, est obligé de demander une justification du prix et, d’autre part, si après examen d’une justification de prix donnée, il arrive à la conclusion que le prix pour lequel il a demandé une justification est anormal, il n’a plus aucun pouvoir d’appréciation concernant la régularité de l’offre : celle-ci est considérée comme substantiellement irrégulière et donc absolument nulle. Dans la réglementation précédente, le pouvoir adjudicateur était obligé de demander une justification des prix, seulement s’il avait l’intention de rejeter l’offre sur base de prix anormaux et le refus de la justification des prix et donc la constatation de prix anormaux ne conduisait qu’à une relative nullité.
Bien que ce renforcement ne trouve pas son origine dans la règlementation européenne sur les marchés publics et qu’il a bien sûr des conséquences pratiques énormes – et peut-être pas toujours souhaitables – pour la vérification et de l’évaluation des offres, il est confirmé par la jurisprudence la plus récente du Conseil d’Etat (CE 26 février 2015, nr. 230.345, CE 30 avril 2015, nr. 231.084). En 2016, la nouvelle règlementation sur les marchés publics entrera en vigueur. La question est de savoir si le législateur conservera cette rigueur.
Isabelle COOREMAN et Lotte VANDERLINDEN
Critères de sélection: possibilité de faire valoir la capacité d’autres entités
En vertu de l’article 74 de l’AR Passation 2011, un soumissionnaire peut, pour certains marchés bien définis et pour satisfaire aux critères de sélection, invoquer la capacité financière d’autres entités, comme une société mère, une filiale ou même un entrepreneur, pour autant que le soumissionnaire apporte la preuve qu’il disposera des moyens nécessaires à l’exécution du marché, en présentant l’engagement de ces entités à mettre de tels moyens à disposition du candidat.
Dans un arrêt récent (CE du 9 juin 2015 nr 231.501), le Conseil d’Etat a estimé qu’un soumissionnaire ne doit pas invoquer la capacité financière d’autres entités lorsqu’il peut présenter lui-même une attestation de bonne exécution pour une prestation semblable. La question de savoir s’il a lui-même exécuté ces travaux ou les a fait exécuter par un sous-traitant n’est pas pertinente dans ce cas, pour autant qu’il assume la responsabilité finale des travaux exécutés.
En l’espèce, le soumissionnaire devait présenter une référence pour :
- la pose d’un terrain synthétique de hockey
- la pose d’une couche d’asphalte
Pour le terrain synthétique, le soumissionnaire avait remis une référence propre. Pour la couche d’asphalte, une référence propre avait également été transmise, pour laquelle la couche d’asphalte avait en fait été réalisée par un sous-traitant. En outre, aucun engagement selon lequel le sous-traitant mettrait ses moyens à disposition pour l’exécution du marché n’était annexé conformément à l’article 74 de l’AR Passation 2011.
A la demande du pouvoir adjudicateur, l’engagement du sous-traitant a tout de même été transmis, mais plus d’un mois après l’ouverture des offres. Le pouvoir adjudicateur a décidé de ne pas tenir compte de cet ajout susceptible d’entraîner la régularisation de l’offre afin de garantir l’égalité entre les soumissionnaires.
Le Conseil d’Etat n’a pas pu suivre ce raisonnement et a estimé qu’une référence propre du soumissionnaire avec attestation de bonne exécution suffisait pour la pose d’une couche d’asphalte (bien que non exécutée par lui-même). En effet, le pouvoir adjudicateur n’avait pas repris dans le devis de dispositions à ce sujet, ce qui semblait vouloir dire que le pouvoir adjudicateur n’exigeait pas de référence pour une couche d’asphalte qui avait été posée par le soumissionnaire lui-même. Il n’est donc pas nécessaire que la référence ait été exécutée par le soumissionnaire, si le soumissionnaire a assumé la responsabilité finale de ces travaux.
Isabelle COOREMAN et Maxim LECOMTE
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